C’était un amour en bas de casse, elle le voulait discret, minuscule, invisible. Elle n’avait appris à aimer jusque-là qu’à travers les pages des livres. Lui ne lisait jamais. Il n’avait pas le temps. Il était Don Juan, aimait dérouler la liste de ses conquêtes sur un leporello invisible, dans des logorrhées prétentieuses. Il voulait être aimé, elle voulait l’aimer. Elle aimait rire et elle aimait lire. Mais il savait si bien la faire pleurer.
Lorsque cette histoire d’amour en accordéon se termina, la douleur fut immense pour elle. Elle n’avait jamais autant souffert, mais elle savait aussi qu’elle n’avait jamais vécu quelque chose d’aussi marquant et qu’il faut s’être cogné à la vie pour pouvoir ensuite écrire. C’est ainsi qu’elle pût, deux ans plus tard, publier son premier roman. Ce fut pour elle une aventure irréelle et ce n’est qu’une fois en possession du tirage de tête qu’elle prit conscience de cette réalité. Toute sa souffrance purgée et regroupée dans ces pages, comprimée dans ce dos carré collé. Alors maintenant, ce livre, elle l’ouvre. Elle veut se mettre à la place du lecteur, d’une personne quelconque, qui ne pourrait souffrir de cette histoire que par procuration. Elle l’ouvre. Sur la belle page, les premiers mots du chapitre la replongent dans cette douleur qu’elle pensait éteinte.
Cela fait plusieurs mois que le roman est en rayon et que la douleur a disparu. Elle s’est effacée petit à petit, s’est atténuée au fil des pages et la quatrième de couverture l’a définitivement étouffée.