L’enfant maudite
Le Vieil Homme était de sortie ce soir, et j’allais en profiter. Une fois la porte fermée, je laissai le silence s’installer avant de m’avancer jusqu’à l’étagère. Le livre était à sa place habituelle. Sous la lumière vacillante, son titre m’apparut comme un secret. Après plusieurs secondes, je le pris dans mes mains.
Il était étonnamment léger. En ouvrant les pages, une forte odeur emplit mes narines. Le papier bible, intact, était d’une douceur insolente, et même les bas de casse du Plantin me parurent extraordinaires. Cette histoire trouvait là son sens, contrairement aux leporellos qu’on nous donnait à lire et qui divulguaient de fausses images. En vérité, l’histoire était injuste et cruelle. Le Vieil Homme l’aimait pour ça. Un sourire étira mes lèvres. Il l’avait placé entre deux tirages de têtes comme pour leur donner le même intérêt, mais ce livre comptait beaucoup plus à ses yeux.
Je le caressai religieusement. Le cuir de la couverture était froid sous la poussière. Son dos était carré collé, et non suisse comme je l’avais cru. Une illustration accompagnait chaque belle page de chapitre. Sous la lumière de la bougie, l’encre s’animait pour dessiner des images vivantes. Là, un homme frappait une enfant. Je savais que ce passage était le préféré du Vieil Homme. Le silence s’alourdit. Je fermai précipitamment le livre, et une goutte de cire vint s’écraser sur la quatrième de couverture. Sans une hésitation, je plaçai la bougie sous le livre, et les flammes le dévorèrent.
« Pour toi Vieil Homme ».