Un coup de feu réveilla les habitants de Lev. Comme rien ne vaut plus qu’un bon potin, l’ensemble du voisinage se rassembla autour de la petite maison de ces étranges femmes. Personne ne savait d’où elles venaient. Pour les esprits si peu stimulés des habitants il n’en fallait pas plus pour les imaginer tout droit sorties d’un asile. Au fait de cette bien mauvaise réputation, le commissaire s’élança dans la maison. La plus jeune des deux l’accueillit, l’autre étendue au sol baignait dans son sang. La maison semblait trop petite pour contenir autant de choses. Des livres, du papier, des manuscrits, étaient dispersés sur le sol. Aux murs étaient accrochés des feuilles couvertes de bas-de-casse. Le commissaire souleva une sorte de livre en accordéon :
« C’est un leporello, expliqua la jeune femme. C’est un exemplaire du tirage de tête.
– Étiez-vous en conflit avec votre associée ?
– Seulement sur des questions de mise en page, notre dernière dispute portait sur un futur projet ; elle voulait un dos collé carré et je trouvais que cela rendait l’œuvre trop banale, répondit-elle les larmes aux yeux.
– Pour qui travaillez-vous ?
– Pour Belle page, une entreprise qui travaille pour les éditeurs, on réalise le packaging des œuvres.
– Et sur quoi travaillait-elle en ce moment ?
– Elle finissait une quatrième de couverture, celle-ci, dit-elle en montrant une feuille cartonnée. »
Il prit dans ses mains la feuille, il remarqua alors les corrections qu’avait apportées la victime. Les petites lettres en rouge étaient à peine lisibles mais il réussit à déchiffrer une phrase : Le suicide est le dernier acte par lequel un homme puisse montrer qu’il a dominé sa vie.