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Récit fictionnel #16

Nous ne pouvons pas complètement prendre en main notre destin. Il va de soi que les autres ont décidé de m’offrir une nouvelle vie, mais surtout de me couper de mes racines. Pour y arriver, il a fallu conserver le meilleur de mon être et jeter le reste. Ils ont voulu garder de mon exotisme uniquement ce qui pouvait leur être utile. Ce n’est sûrement pas ce que Déméter aurait souhaité. Seulement, ils ont tourné le dos au culte antique de la nature. Et pourtant, nous demeurons un pôle attractif pour combler leur désir matériel. 

Le plus douloureux a également été le plus beau. Je me portais comme un charme sans pour autant avoir conscience de la pureté qui m’entourait. Mon environnement comportait une intensité chromatique de vert qui m’emplissait d’une synesthésie qu’aujourd’hui je n’ai pas perdue.  

J’ai été dépouillé de mon caractère. Ma rudesse, mon aspect brut étaient pour eux un défaut qu’il était nécessaire de faire disparaître. Et quand j’aperçois mon vernis, j’essaie de l’associer aux teintes que les rayons du soleil pouvaient avoir sur mon enveloppe quand ils arrivaient à dépasser les barrières végétales.  

Le jour n’existe plus. J’alterne entre cette minuscule boîte à l’intérieur de velours et les grandes salles éclairées aux projecteurs. Certes, ils nous laissent nous exprimer. J’agis en communion avec mes frères de partitions musicales dont l’épaisseur est un gage de qualité similaire aux tirages de tête. Je sens les doigts du hautboïste s’enfoncer dans mon cadavre et atteindre mon âme. J’ai beau crier de toutes mes forces, la mélodie que je produis est trop belle pour les arrêter car, comme on dit, c’est au fruit qu’on connaît l’arbre.

Venetia

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